Pesticides : pourquoi les tests ambitieux sur les abeilles et bourdons sont bloqués en Europe depuis 2014
Par Rachel Mulot le 19.09.2022 à 12h29 Lecture 5 min.
Pourquoi l’adoption de tests plus ambitieux sur les effets des pesticides sur les abeilles et les pollinisateurs est-elle bloquée depuis 2014 dans l’Union européenne ? Une décision de justice, obtenue par l’ONG Pollinis, va permettre de savoir qui s’y opposait et sur quels fondements scientifiques.
Le Tribunal de l’Union européenne donne raison à l’ONG Pollinis qui demande depuis 2018 la divulgation des documents pouvant expliquer les raisons du blocage de tests ambitieux sur les effets des pesticides, néonicotinoïdes notamment, sur les abeilles domestiques, les bourdons, les abeilles solitaires et les larves. “Avec ce jugement fondamental, le Tribunal de l’Union européenne met fin à l’opacité inacceptable qui entache une partie du processus décisionnel européen“, estime l’ONG, dont le dossier a été défendu par les avocats Théophile Bégel et Corinne Lepage, ex-ministre de l’Environnement.
Pour comprendre, il faut remonter à 2013. La Commission européenne, alarmée par les morts massives d’abeilles, demande à l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) de revoir les protocoles des tests qui permettent d’évaluer la toxicité des pesticides sur les pollinisateurs dans le cadre d’une autorisation de mise sur le marché. Suivant le conseil d’environnementalistes et de scientifiques, il ne suffit plus seulement d’évaluer la toxicité aiguë des produits phytosanitaires, mais aussi leur toxicité chronique. Il est question aussi d’étendre les tests à d’autres pollinisateurs- abeilles solitaires, bourdons- ainsi qu’aux larves. Et de prendre en compte la ” route d’exposition” des abeilles, soit toutes les voies par lesquelles elles peuvent être exposées de façon cumulée : l’eau et les sols par exemple, et non plus seulement par les pollens et les nectars. Plus fort, un objectif ambitieux de protection sous-tend cette révision, qui veut fixer le taux de mortalité acceptable des abeilles domestiques à 7% seulement (alors qu’aucun chiffre n’était fixé auparavant).
Sept ans de réflexion… ou de blocage ?
L’EFSA produit en ce sens en 2014 un document guide qui doit être approuvé par le SCoPAFF (Standing Committee on Plants, Animals, Food and Feed, soit le “Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale”), le comité technique chargé des pesticides et présidé par la Commission, où siègent des représentants de chaque état membre. Et c’est le blocage, doublé du trou noir…” Pendant sept ans, l’adoption de ces protocoles essentiels pour empêcher la commercialisation de substances toxiques pour les pollinisateurs a été reportée plus de trente fois, commente Nicolas Laarman, délégué général de Pollinis, et ce, sans que les citoyens européens aient accès à la moindre information sur ses raisons qui servent uniquement les intérêts de l’industrie agrochimique” selon lui. Au nom du droit d’accès des citoyens à l’information, Pollinis demande la divulgation des débats à de multiples reprises entre 2018 et 2020, requêtes que la Commission européenne rejette systématiquement, arguant de la nécessité de “protéger le processus décisionnel”. Le 15 juin 2020, Pollinis dépose donc in fine deux recours contre la Commission devant le Tribunal de l’Union européenne, pour connaître les dessous et ressorts de l’affaire. Le Jugement est venu leur donner raison.